Au fil du temps

Explorez l'histoire fascinante de la Durance avant le lac et le barrage au fil du temps. Découvrez la nécessité d'aménager cette puissante rivière torrentielle, les défis techniques du projet Serre-Ponçon, et son impact sur la Provence. Plongez dans les détails de la construction du barrage, une prouesse technique et humaine, et comprenez les multiples missions de cet ouvrage au service de la collectivité. 

Serre-Ponçon avant le barrage
Michel Baudry

Avant le lac et le barrage

Affluent du Rhône, la Durance constitue l'une des plus puissantes rivières torrentielles françaises. 55 % de ses eaux proviennent de la fonte des neiges. Les hommes subissent à la fois les crues et les pénuries saisonnières. En 1843 et 1856, quand des inondations catastrophiques ravagent la région, l'idée de "dompter" la Durance se précise...

Aménager la Durance, une nécessité...

« Parlamen, mistrau e durenco soun li tres flev de la prouvenco » disait-on autrefois (Le Parlement, le Mistral et la Durance, sont les trois fléaux de la Provence) !

Avant la construction du barrage de Serre-Ponçon, la Durance était en effet une rivière imprévisible et indomptable. Elle était marquée aussi bien par des crues dévastatrices, comme ce fût le cas en 1843 et 1856, que par des périodes de profonde sécheresse, en particulier celle de 1895. Jean Giono, disait de la Durance : « Ce n'est pas qu'elle est méchante, mais pour elle, le bien et le mal, c'est pareil »

Cette hydrologie capricieuse a depuis longtemps fait réfléchir les aménageurs sur la construction d'un grand réservoir en amont de la rivière. Un barrage permettrait d'encaisser les crues et de stocker l'eau pour la restituer aux moments difficiles en été, où elle se fait rare. La grande crue de 1856 et ses ravages marquent un tournant. On décide pour la première fois de passer à l'action. Il s'agit d'examiner la faisabilité de créer des barrages sur la Durance, le Buëch, mais aussi sur le Verdon. Les premières reconnaissances sont menées dès 1857 sur six emplacements dont Sainte Croix du Verdon et Serre-Ponçon. Sur la Durance, tous les repérages aboutissent en effet au site de Serre-Ponçon, un lieu idéal avec un goulet relativement étroit, 2 km à l'aval du confluent de l'Ubaye. Les experts évaluent à l'époque que le rocher de fondation se trouve sous une épaisseur de 8 mètres seulement de sédiments. Mais à chaque nouvelle campagne, les géomètres réalisent des sondages toujours plus profonds, sans pour autant toucher le rocher. Vers 1900 finalement, les campagnes de sondages montrent que le rocher se situe en fait à 110 mètres de profondeur sous les sédiments. Aucune technique à l'époque ne permet d'ancrer un barrage sur une telle épaisseur d'alluvions. Devant cet obstacle infranchissable, le projet de Serre-Ponçon est abandonné.

En 1899, et pendant plusieurs décennies, Ivan Wilhem, un polytechnicien né à Moscou, ingénieur gapençais des Ponts et Chaussées, tente de résoudre le problème. Jusqu'aux années 1940, avec son équipe d'ingénieurs, il imagine ce que pourrait être le barrage de Serre-Ponçon, sans toutefois avoir surmonté le problème de la profondeur du rocher de fondation. Il faut attendre l'après-guerre pour que le progrès technique laisse espérer une réalisation. A cette époque, les américains mettent au point un nouveau type de barrage, sur le Missouri, capable de s'ancrer sur d'importantes épaisseurs de sédiments. Ils utilisent une technique d'injections profondes couplées à une digue en terre et non plus en béton.

En 1948, pratiquement un siècle après les premières études, le réalisation d'un barrage à Serre-Ponçon est techniquement possible. Tout récemment créée en 1946, EDF se voit confier le projet qui obtient en 1951, l'avis favorable du Comité Technique des Grands Barrages. Le projet prévoit non seulement la construction du barrage de Serre-Ponçon, mais aussi l'aménagement de l'ensemble de la Durance avec la réalisation d'un canal sur plus de 250 km.

La loi de 1955 : acte de naissance d'un projet d'aménagement du territoire

Devant l'ampleur du chantier qui relève d'une véritable logique d'aménagement du territoire, la décision de lancer le projet fait l'objet d'une loi. Le projet est déclaré d'utilité publique par la loi publiée au Journal Officiel le 5 janvier 1955, signée par le Président de la République de l'époque, René Coty, et par plusieurs ministres dont celui de l'Intérieur, François Mitterrand.

<> Cette loi, intitulée « Loi d'aménagement de Serre-Ponçon et de la Basse Durance » définit trois missions à l'aménagement de la Durance :

 

  • la fourniture en énergie,
  • l'irrigation et l'alimentation en eau,
  • la limitation des effets des crues.

La loi marque ainsi la volonté du législateur d'associer à l'hydroélectricité, l'irrigation des terres agricoles de la Provence. A ce titre, le Ministère de l'Agriculture participe au financement du projet à hauteur de 12,3% en contrepartie d'une réserve d'eau à l'usage de l'agriculture. Électricité de France aujourd'hui EDF se voit accorder la concession des chutes hydroélectriques de la Durance pour une durée de 75 ans, par un décret signé le 28 septembre 1959. A celui-ci est annexé le cahier des charges fixant très précisément les droits et obligations d' Électricité de France aujourd'hui EDF .

A cette occasion, un reportage pédagogique intitulé "Prospérité nouvelle en Durance" a été réalisé afin de démontrer les bienfaits du développement économique et du mieux-être social qui naîtront de la construction du barrage (Archives INA).

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La construction du barrage

Une prouesse technique et humaine...

Suite aux essais et travaux préparatoires menés dès la fin des années 40, le chantier démarre en 1955 54 mois plus tard. En juin 1960, la construction du barrage est terminée alors que le remplissage de la retenue débute le 16 novembre 1959: dix-mois plus tard, les vallées de l'Ubaye et de la Durance, totalement ennoyée entre la clue de Serre-Ponçon et la plaine du Roc d'Embrun, offre un nouveau monde... Le chantier réunira jusqu'à 3 000 ouvriers en même temps, au plus fort de l'activité, en juillet 1959.

Les travaux préliminaires démarrent en 1955 avec la mise en place des installations de chantier à la mesure de l'ouvrage: centrale à air comprimé, station de lavage-criblage pour préparer les agrégats utilisés dans la fabrication du béton, centrale à béton, 2300 m² d'ateliers pour entretenir et réparer un parc d'engins de travaux publics extrêmement important. Une cité de 800 lits est construite à Espinasses pour héberger les célibataires. 300 autres logements sont réalisés à proximité du site.

Le premier véritable chantier est celui du détournement de la Durance, préalable à la construction de la digue. Pour ce faire, une dérivation provisoire constituée de 2 galeries de 900 m de long et 10,50 m de diamètre est creusée dans le rocher, en rive gauche du futur ouvrage. La dérivation s'achève le 29 mars 1957. Des moyens colossaux sont mis en œuvre pour l'époque : une unité de perforation avec 3 « jumbos » (énormes marteaux piqueurs montés sur engins à chenilles), des coffrages métalliques télescopiques montés sur portiques roulant et un train bétonnier.

Parallèlement, il faut penser à rétablir les voies de communication que la mise en eau du lac va couper. On en profite pour les moderniser. Plus de 14 km de voies ferrées et 3 viaducs S.N.C.F sont construits. Ainsi que 50 km de routes et plus de 2,5 km de ponts, dont le viaduc de Savines long de 924 m. Ces chantiers seront plus coûteux que la construction de la digue elle-même...

Découvrez le reportage du 4 avril 1957 pour le journal national : "Travaux sur la Durance" (Archives INA)

La construction de la digue et de l'usine

Pendant 39 mois, de mars 1957 et la fin des travaux en juin 1960, 30 millions de tonnes de matériaux sont déplacés et transportés sur les pistes du chantier. L'édification de la digue nécessite à elle seule 14 millions de m³ de terrassement (6 fois le volume de la grande pyramide de Chéops). La digue mesure 600 mètres de large et 650 mètres d'épaisseur à la base. Pour transporter ces énormes quantités de rocher, 35 semi-remorques « Euclid » importés des États-Unis, sont capables de charger 60 tonnes dans leur benne. On compte, en une journée, jusqu'à 1 500 passages de véhicules de 300 CV pour mettre en place 20000 m³ par jour de matériaux compactés par 3 rouleaux à pneus de 35 à 45 tonnes et 2 rouleaux « à pieds de mouton » de 18 tonnes. Le balai des engins sur la digue dure sans interruption de 2 h du matin à 22 h. Un conducteur d'Euclid gagne environ trois fois le salaire d'un employé de bureau. Mais c'est un métier pénible et dangereux... Pendant qu'en surface, pelles, tombereaux, tracteurs et rouleaux se livrent à une ronde incessante, au cœur du rocher, une gigantesque cathédrale souterraine prend peu à peu naissance pour former l'usine.

De très bonne qualité, le granit permet de réaliser la totalité des excavations sans aucun soutènement. Dès la fin de l'année 1958, les trois cavernes construites parallèlement pour abriter les transformateurs, les machines et les vannes de pied, sont à disposition des constructeurs des matériels électromécaniques. 

 

Le chantier connaît des moments mémorables. Le 14 juin 1957, une crue de 1 700 m³/s (la plus forte crue connue après celle de mai 1856 qui avait atteint 1 800 m³/s) perturbe les travaux. A cette époque, une seule galerie de dérivation provisoire est en service. Le batardeau, construit à l'amont du chantier de la digue pour la protéger, est submergé, heureusement sans trop de dégâts. Autre opération délicate, le transport des 4 rotors des alternateurs depuis les ateliers du constructeur. Les 260 tonnes de chaque rotor sont transportées par la route sur un véhicule surbaissé.

La mise en eau et la disparition de Savines et d'Ubaye

Le 16 novembre 1959, les vannes du barrage se ferment pour commencer le remplissage de la retenue. 18 mois plus tard, le 18 mai 1961, pour la première fois, le lac est plein. La mise en eau de la retenue a pour conséquence de submerger les villages de Savines et d'Ubaye, situés au-dessous de la côte 780.

Il est décidé de reconstruire le village de Savines. Les discussions sont vives pour savoir si le nouveau village sera bâtit en rive gauche ou en rive droite, plus ensoleillée. C'est la rive gauche, celle du village d'origine, qui est choisie, entraînant la nécessité de construire le pont de 920 mètres de long traversant les deux rives du lac. EDF finance la reconstruction des immeubles communaux et une nouvelle église symbolise, par son originalité résolument moderne, le renouveau du village.

A Ubaye, le village n'est pas reconstruit, mais le cimetière est transporté en bordure du lac. La mise en eau du barrage oblige ainsi à procéder au déplacement de près de 1 500 personnes...

Découvrez : "La mise en eau du barrage de Serre-Ponçon" - Reportage régional pour le journal national - 02/04/1960 (archives INA)

La guerre d'Algérie empêche l'inauguration

Le barrage de Serre-Ponçon n'a jamais été inauguré officiellement. Le Général de Gaulle devait présider la cérémonie, mais la guerre d'Algérie est venue bouleverser les programmes. Le report ne sera jamais concrétisé.

Coût du chantier

La répartition des dépenses totales, évaluées à 50 milliards d'anciens francs, s'établit ainsi : 

  • Digue et étanchéité : 23 %
  • Ouvrages annexes et usines : 21%
  • Matériel hydro et électromécanique : 13 %
  • Rétablissements des communications : 27 %
  • Achat des terrains : 13 %
  • Etudes et essais : 3 %

Un ouvrage à but multiple au service de la collectivité

La loi de 1955 à l'origine de la construction du barrage de Serre-Ponçon donne à l'aménagement de la Durance trois missions : produire de l'électricité, assurer les besoins en eau pour l'irrigation de la Basse Durance et lutter contre les crues. Si EDF est très attentive à remplir sa mission première de service public pour la production d'électricité à partir d'une énergie propre et renouvelable, elle est amenée à se positionner à Serre-Ponçon comme le gestionnaire de l'eau pour des publics et des usages multiples : production d'électricité, irrigation, alimentation en eau potable et en eau industrielle, pêche, tourisme, activités nautiques et sports d'eau vive.

Dans ce cadre, EDF a souhaité mettre à disposition du SMADESEP par convention du 16 juin 2008 le domaine public hydroélectrique de Serre-Ponçon à des fins de gestion et d'aménagement touristiques. Afin d'accompagner ce développement territorial, le concessionnaire a également accepté de maintenir durant la haute saison estivale une cote minimale d'exploitation touristique. Cette cote, fixée à 5 mètres en dessous de la cote normale d'exploitation hydroélectrique, correspond au niveau du lac en dessous duquel la plupart des activités nautiques commencent à être très sérieusement pénalisées. Intégrée aux conditions d'exploitation hydroélectrique du concessionnaire, elle doit être à minima respectée chaque année du 1ier juillet au 31 août.

Serre-Ponçon : premier maillon d'une chaîne hydroélectrique de 250km

La centrale de Serre-Ponçon produit environ 700 millions de kWh par an, soit approximativement la consommation du département des Hautes Alpes. Avec une puissance de 380 MW (1/3 d'un réacteur nucléaire), c'est la centrale hydraulique la plus puissante de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et l'une des plus puissantes de France.

Mais Serre-Ponçon est aussi le réservoir à partir duquel commence le canal EDF de la Durance. Véritable colonne vertébrale énergétique, ce canal transporte l'eau stockée dans la retenue de Serre-Ponçon et court sur plus de 250 km, jusqu'à l'usine de Saint Chamas, située sur les rives de l'étang de Berre. Tout au long de ce canal, 15 centrales hydrauliques turbinent successivement l'eau. En amont du lac de Serre-Ponçon, 8 centrales hydrauliques ont été aménagées sur la Durance et ses affluents. Avec les centrales du Verdon, affluent de la Durance, l'ensemble de la chaîne hydroélectrique Durance - Verdon rassemble ainsi 32 centrales. L'ensemble forme l'un des cinq plus importants gisements hydrauliques de France (1/6ème des moyens hydrauliques de pointe). Cet ensemble Durance - Verdon affiche un potentiel de production de 7 milliards de kWh. Cela correspond à :

  • 10% de la production hydraulique française,
  • 40 à 60% de la production d'électricité de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, une production indispensable pour la région qui consomme aujourd'hui deux fois plus d'électricité qu'elle n'en produit.
  • 15 à 20% de la consommation de la région Provence-Alpes Côte d'Azur.

19 des centrales de la chaîne Durance - Verdon sont pilotées par informatique à distance et simultanément, depuis le Poste Commun de Commande de Sainte-Tulle, près de Manosque. Cette exploitation centralisée garantit un fonctionnement synchronisé d'une puissance de 2 000 MW, soit l'équivalent de deux réacteurs nucléaires. En moins de 10 minutes, ce potentiel de production peut être mobilisé, un atout précieux pour répondre en temps réel aux variations de la consommation d'électricité ou pour faire face aux défaillances du système électrique.