Avant le lac et le barrage

Cette page est disponible en : en English (Anglais) fr Français

Affluent du Rhône, la Durance constitue l'une des plus puissantes rivières torrentielles françaises. 55 % de ses eaux proviennent de la fonte des neiges. Les hommes subissent à la fois les crues et les pénuries saisonnières. En 1843 et 1856, quand des inondations catastrophiques ravagent la région d'Avignon, l'idée de "dompter" la Durance se précise...

Aménager la Durance, une nécessité...

« Parlamen, mistrau e durenco soun li tres flev de la prouvenco » disait-on autrefois (Le Parlement, le Mistral et la Durance, sont les trois fléaux de la Provence) !

Avant la construction du barrage de Serre-Ponçon, la Durance était en effet une rivière imprévisible et indomptable. Elle était marquée aussi bien par des crues dévastatrices, comme ce fût le cas en 1843 et 1856, que par des périodes de profonde sécheresse, en particulier celle de 1895. Jean Giono, disait de la Durance : « Ce n'est pas qu'elle est méchante, mais pour elle, le bien et le mal, c'est pareil ».

Cette hydrologie capricieuse a depuis longtemps fait réfléchir les aménageurs sur la construction d'un grand réservoir en amont de la rivière. Un barrage permettrait d'encaisser les petites et moyennes crues et de stocker l'eau pour la restituer aux moments difficiles en été, où elle se fait rare. La grande crue de 1856 et ses ravages marquent un tournant. On décide pour la première fois de passer à l'action. Il s'agit d'examiner la faisabilité de créer des barrages sur la Durance, le Buëch, mais aussi sur le Verdon. Les premières reconnaissances sont menées dès 1857 sur six emplacements dont Sainte Croix du Verdon et Serre-Ponçon. Sur la Durance, tous les repérages aboutissent en effet au site de Serre-Ponçon, un lieu idéal avec un goulet relativement étroit, 2 km à l'aval du confluent de l'Ubaye. Les experts évaluent à l'époque que le rocher de fondation se trouve sous une épaisseur de 8 mètres seulement de sédiments. Mais à chaque nouvelle campagne, les géomètres réalisent des sondages toujours plus profonds, sans pour autant toucher le rocher. Vers 1900 finalement, les campagnes de sondages montrent que le rocher se situe en fait à 110 mètres de profondeur sous les sédiments. Aucune technique à l'époque ne permet d'ancrer un barrage sur une telle épaisseur d'alluvions. Devant cet obstacle infranchissable, le projet de Serre-Ponçon est abandonné.

En 1899, et pendant plusieurs décennies, Ivan Wilhem, un polytechnicien né à Moscou, tente de résoudre le problème. Jusqu'aux années 1940, avec son équipe d'ingénieurs, il imagine ce que pourrait être le barrage de Serre-Ponçon, sans toutefois avoir surmonté le problème de la profondeur du rocher de fondation. Il faut attendre l'après-guerre pour que le progrès technique laisse espérer une réalisation. A cette époque, les américains mettent au point un nouveau type de barrage, sur le Missouri, capable de s'ancrer sur d'importantes épaisseurs de sédiments. Ils utilisent une technique d'injections profondes couplées à une digue en terre et non plus en béton.

En 1948, pratiquement un siècle après les premières études, le réalisation d'un barrage à Serre-Ponçon est techniquement possible. Tout récemment créée en 1946, Électricité de France se voit confier le projet qui obtient en 1951, l'avis favorable du Comité Technique des Grands Barrages. Le projet prévoit non seulement la construction du barrage de Serre-Ponçon, mais aussi l'aménagement de l'ensemble de la Durance avec la réalisation d'un canal sur plus de 250 km.

La loi de 1955 : acte de naissance d'un projet d'aménagement du territoire

Devant l'ampleur du chantier qui relève d'une véritable logique d'aménagement du territoire, la décision de lancer le projet fait l'objet d'une loi. Le projet est déclaré d'utilité publique par la loi publiée au Journal Officiel le 5 janvier 1955, signée par le Président de la République de l'époque, René Coty, et par plusieurs ministres dont celui de l'Intérieur, François Mitterrand.

Cette loi, intitulée « Loi d'aménagement de Serre-Ponçon et de la Basse Durance » définit trois missions à l'aménagement de la Durance :

  • la fourniture en énergie,
  • l'irrigation et l'alimentation en eau,
  • la limitation des effets des crues.

La loi marque ainsi la volonté du législateur d'associer à l'hydroélectricité, l'irrigation des terres agricoles de la Provence. A ce titre, le Ministère de l'Agriculture participe au financement du projet à hauteur de 12,3% en contrepartie d'une réserve d'eau à l'usage de l'agriculture. Électricité de France se voit accorder la concession des chutes hydroélectriques de la Durance pour une durée de 75 ans, par un décret signé le 28 septembre 1959. A celui-ci est annexé le cahier des charges fixant très précisément les droits et obligations d'Électricité de France.

Une prospérité nouvelle en Provence - Provence Magazine - 06/08/1955 (archives INA)